EXCLUSIF. Paris : 18 coups de couteau et pas un jour de prison
Après avoir échappé à une tentative de meurtre en pleine rue en décembre, un homme a écrit à la ministre de la Justice pour dire son incompréhension.
Par Stéphane Sellami
Il faut tendre l’oreille pour capter le mince filet de voix qui sort de ses lèvres. Il n’a pas un mot plus haut que l’autre. Son visage ne laisse rien transparaître. Pourtant, Mohamed, 27 ans, est un miraculé. Il le sait. Son instinct de survie a été plus fort que tout. Le 7 décembre 2017, vers 18 h 30, à l’angle des rues Réaumur et de Palestro dans le 2e arrondissement de Paris, il a échappé à la mort. De justesse.
Ce jour-là, Mohamed s’apprête à rejoindre sa petite amie lorsque sa vie bascule. « Je n’ai pas vu arriver mon agresseur, se remémore-t-il. Il est arrivé dans mon dos avant de me poignarder. » Coiffé d’une capuche, l’inconnu s’acharne sur lui. Secouru quelques instants plus tard, Mohamed est évacué en urgence vers l’hôpital le plus proche. Les médecins relèvent dix-huit plaies sur son corps. Trois lourdes opérations chirurgicales et 85 jours d’hospitalisation seront nécessaires pour lui permettre de reprendre le fil de sa vie. « J’ai failli perdre mon bras gauche et j’ai eu une artère ligaturée, je vais rester marqué à vie et les souvenirs que j’ai de cette agression sont partis pour rester, confie-t-il encore. Je devais signer mon premier contrat d’embauche trois jours après mon agression. Aujourd’hui, je me consacre à mon travail, à mes séances quotidiennes de kiné et à mes consultations chez un psychologue. Mais le plus dur finalement est de voir que mon agresseur, lui, mène sa petite vie. Il n’a pas fait un jour de prison. Il m’a presque tué quand même. »
Danger
Mohamed a découvert que l’homme qui l’a agressé a été hospitalisé d’office pendant six mois après les faits. Interpellé quelques minutes après son geste, Philippe G., 39 ans, n’a pas tenté de fuir, avant de tenir des propos incohérents. « Il a déclaré avoir agi ainsi parce qu’il avait reconnu un étudiant d’une école où on lui avait implanté de la nanotechnologie, relate une source proche de l’affaire. Il a aussi soutenu que la victime a prononcé le terme suicide en le croisant. » Un examen de comportement, réalisé au cours de sa garde à vue, a révélé des « troubles mentaux manifestes et un danger imminent pour la sûreté des personnes nécessitant son transfert vers l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P) ».
« Il est ressorti au mois de juin dernier de l’hôpital psychiatrique sans que personne en soit informé, même pas la juge d’instruction qui suit cette affaire, s’étonne Mohamed. Il a été mis en examen pour tentative d’homicide volontaire, avant d’être placé sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention [JLD]. » La juge, elle, avait requis son placement en détention provisoire. Informé de cette décision, le parquet de Paris a fait appel et les juges de la cour d’appel ont confirmé, au début du mois d’août, le placement sous contrôle judiciaire de Philippe G. Déjà hospitalisé d’office entre les mois de mai 2016 et février 2017, cet homme, domicilié dans les Yvelines, avait également fait l’objet de poursuites judiciaires pour des faits de port d’arme prohibé en 2014, 2015 et 2016.
Par ailleurs, une expertise psychiatrique a établi que Philippe G. présentait « une personnalité marquée par une décompensation délirante paranoïde ». « Il est dangereux au sens psychiatrique du terme […], il est curable et réadaptable, et accessible à une sanction pénale. Au moment des faits, il était atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré sans l’abolir son discernement, et entravé le contrôle de ses actes », conclut l’expert.
« Ce n’est pas l’image que j’avais de la justice »
De son côté, face à la remise en liberté de son agresseur, une décision « incompréhensible », Mohamed a décidé d’écrire à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. « Cette lettre est une façon pour moi d’alerter sur les risques que représente cette remise en liberté. Je veux que ce risque soit évité. L’idée que mon agresseur puisse recommencer me met très mal à l’aise. Cette lettre n’est pas contre la justice. Cette remise en liberté est une décision inconcevable au regard des faits et des éléments du dossier. C’est comme si les repères logiques que j’avais ne s’appliquaient plus. Ce n’est pas l’image que j’avais de la justice. Si la garde des Sceaux veut m’entendre, ce serait très bien, car, aujourd’hui, j’ai le sentiment de ne plus être en sécurité. »
Mohamed vient de recevoir une réponse des services de Nicole Belloubet. « Tout en comprenant et en respectant le sens de votre démarche, je me dois de vous indiquer qu’en application de l’article 1er de la loi du 25 juillet 2013, il n’appartient pas au ministre de la Justice de donner quelque instruction que ce soit aux parquets dans le cadre de dossiers individuels, ni d’interférer dans les procédures judiciaires, en raison des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire », indique la missive du ministère de la Justice, avant de le renvoyer vers la cour d’appel de Paris. « La seule chose à laquelle il se raccroche est que cette affaire aboutisse à un procès et que la décision rendue soit conforme à la gravité des faits, précise Me Pierre de Combles de Nayves, l’avocat de Mohamed. Mon client comprend d’autant moins cette remise en liberté que son agresseur est conscient de son geste et a un raisonnement logique pour le justifier. » Contacté, l’avocat de Philippe G. n’a pas donné suite à nos sollicitations.