chauffeur de bus ayant giflé

FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors que l’opinion s’émeut de l’affaire du chauffeur de bus ayant giflé un adolescent lui manquant de respect, Barbara Lefebvre analyse les causes de cette médiatisation peu ordinaire et de la vague de soutien populaire envers le conducteur RATP.

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste, auteur de Génération j’ai le droit, (éd. Albin Michel 2018)

Un chauffeur de bus RATP excédé par une énième «incivilité» inflige instinctivement une gifle à un collégien qui vient de l’insulter: ce fait relève de l’anecdote devenue virale par le jeu désormais habituel des réseaux sociaux puisqu’un des collégiens présents a filmé la scène. Cette anecdote a fait la Une des médias pendant plus de vingt-quatre heures, obligeant tous les invités politiques des chaînes info à le commenter. Les émissions de radio ouvrant le micro à leurs auditeurs sur l’actualité furent débordées par les appels: presque unanimement pour soutenir le chauffeur menacé de sanction disciplinaire. Médiatisation qui a amplifié le succès d’une pétition de soutien rassemblant plus de 200 000 signataires. Qu’est-ce qui explique cette vague de soutien populaire à la gifle du chauffeur sinon l’exaspération générale devant la banalisation des violences dans l’espace public et la contestation de l’autorité des adultes? Il n’est pas question de nier que l’adolescence soit un moment de construction de l’identité personnelle qui se caractérise par la provocation envers l’adulte, par l’exacerbation des sentiments et des émotions. Il est question de savoir ce qu’une société civilisée peut continuer à supporter comme niveau de violences banalisées. Apparemment, notre société est au bord de la crise de nerfs, malgré les injonctions de tous les coachs en développement personnel qui nous expliquent la nécessité d’être zen en toutes circonstances, «centrés sur nous-mêmes pour ne pas être pollués par le monde», bref indifférents à notre entourage mais avec le sourire du béat.

On remarque en effet au fil des ans que l’opinion française se saisit de chaque occasion pour exprimer son soutien à des figures ou des gestes d’autorité vis-à-vis des jeunes générations. Ne serait-ce pas un cri de colère? Celle d’avoir été dépossédé depuis des décennies de notre propre autorité par les donneurs de leçons qui culpabilisent les parents, les enseignants, les policiers, les juges. L’autorité, c’est la domination, c’est le fascisme à visage poupin, nous ont-ils répété des années durant. Ainsi la sociologie critique a-t-elle imposé sa vision idéologique de l’existence collective à travers la grille de lecture d’une perpétuelle opposition entre dominants et dominés. Vision qui a gangrené «les sciences humaines» et bien audacieux celui qui ose affronter le gauchisme culturel dans le monde académique ou médiatico-intellectuel. S’est diffusée ainsi l’idée qu’il fallait éliminer toutes formes d’autorité dans les structures sociales fondées sur un rapport hiérarchique. Ces expressions d’autorité étaient les débris des funestes «temps anciens», les détruire étaient la condition pour faire advenir la fantasmagorie de la société moderne composée d’êtres parfaitement libres et égaux. Or les représentations sociales, les imaginaires nationaux, les habitus construits non par des idéologies politico-économiques circonscrites mais par des siècles et des siècles d’imprégnation socioculturelle, par une longue histoire de civilisation, ne se défont pas comme on détricoterait les mailles d’un pull. La promesse d’une humanité régénérée par la modernité, qui misait tout sur l’émancipation de l’individu, n’a pas donné le résultat escompté. On entend les beaux esprits modernes (et postmodernes) s’en plaindre, accuser «le peuple» d’être réfractaire au rêve d’une humanité libérée de toutes les dominations qui l’entravent. Il faut croire que «le peuple» – avec le bon sens qui le caractérise souvent – ne veut pas finir comme Icare, sans racine, sans aile, au fond de la mer pour avoir transgressé l’interdit paternel.

Le soutien populaire à ce chauffeur est celui d’une société en manque de père

Dans la banale affaire de la gifle du chauffeur RATP il s’agit aussi – beaucoup – de cela: une autorité «paternelle» par procuration qui veut sermonner un enfant imprudent, se fait insulter et lui inflige la butée physique méritée devant des adolescents témoins qui rient de l’insulte, complices de la «tête à claque». Le soutien populaire à ce chauffeur est celui d’une société en manque de père, en manque de cette autorité naturelle qui protège et qui sanctionne, qui exprime la morale par l’exemple sans discourir inutilement, qui rétablit l’ordre hiérarchique entre adultes responsables et enfants irresponsables à éduquer. L’adulte a une fonction miroir, il aide l’enfant à penser ses actes, à poser les limites de ce qu’une société tolère et ne tolère pas. Ces limites sont aussi des héritages culturels, elles diffèrent selon les pays, les aires de civilisation. En repoussant de façon radicale depuis quarante ans les limites de la libre expression du bon vouloir de l’individu contre le bien commun de la société, on a brutalisé une majorité de gens qui rejettent ce modèle de société où la parole de l’enfant vaut celle de l’adulte, où l’autorité est conspuée sauf à s’exprimer sur le ton d’un moine tibétain. Or le Français n’est-il pas plus proche du Gaulois que du moine tibétain?

Par ce processus de déconstruction des grands repères moraux ayant édifié lentement mais sûrement notre civilisation, on s’est mis, depuis les années 1960, à déboulonner toutes les statues, toutes les figures morales, à commencer par celle du père, ce héros devenu ce zéro. La figure morale du curé ayant été désacralisée au cours du siècle précédent. Toutes les résistances au reformatage moderne des âmes furent qualifiées de «passions tristes», de pessimisme pathologique, voire d’obscurantisme. Les antimodernes ne pouvaient être que des grincheux, eux qui ont pourtant donné à la littérature et à la philosophie leurs plus grandes œuvres. Déboulonner l’autorité paternelle fut donc la grande réalisation du monde moderne. Réduite à une domination, on oublia que l’autorité du père était d’abord synonyme de protection, de responsabilité, de sécurisation affective, d’éducation par l’exemplarité. On préféra identifier le père à un potentiel Thénardier plutôt qu’au dévoué Jean-Joachim Goriot de Balzac ou l’aimant François Tessier de Maupassant. L’époque moderne étant au maternage et à l’infantilisation générale pour mieux endormir les récalcitrants à la société de masse, on a vu le développement du discours progressiste visant à réduire les parents aux rangs de «membres» d’une famille démocratique où ne se côtoient que des égaux. La famille est devenue un espace de débat où on élabore les règles en commun, où les enfants décident du type de voiture à acheter (comme en témoignent certains publicités), où le lieu des vacances fait l’objet de délibérations quasi référendaires. L’éducation doit être positive (on ne commence pas ses phrases par une injonction négative, règle qui nous vient du management commercial pour faciliter la vente). En arrachant au père – et donc plus globalement à la famille – sa fonction d’autorité, de responsabilité, d’exemplarité, de lieu élémentaire de l’éducation de la société future, on a détruit les repères de millions d’enfants. On se félicite que certains s’en portent très bien pour oublier tous ceux, majoritaires, qui en souffrent ; ceux dont les psys nous disent «ils sont en manque de repère»… Qui a abattu un à un ces repères de civilisation?

La famille est ce lieu précieux qui préserve l’enfant de notre monde glorifiant l’utile et le bougisme, elle est le lieu où s’enseignent les permanences.

Sans une éducation familiale où – sur fond de relation sécurisante et affectueuse et non de dressage et de soumission – on impose aux enfants le respect des règles familiales et celles de la vie en société faite de civilités envers autrui et de respect dû aux aînés, il n’y a pas de société civilisée, il n’y a pas d’hommes libres. Ce jeune collégien n’a pas été éduqué, il a été élevé. L’éducation n’est pas l’élevage car éduquer c’est civiliser. Ce chauffeur de bus a joué le rôle du père, il a eu peur pour cet adolescent et a voulu verbalement le rappeler à la prudence, il n’a pas supporté de voir cette peur paternelle naturelle niée par l’insulte d’un enfant sans éducation. Le dialogue n’était plus possible.

Tous les pédopsychiatres, les enseignants, les magistrats, les policiers constatent le développement continu de nouvelles formes de violences dans la jeunesse. L’intolérance à la frustration qui caractérise tant de nos jeunes enfants et élèves sont des bombes à retardement pour la société de demain. Quand s’y ajoutent la déculturation de masse et/ou l’identitarisme d’une minorité qui s’estime toute-puissante, le danger est mortifère. Ces violences s’inscrivent pleinement dans le contexte d’un individualisme toujours plus amoral qui justifie, au nom de son bon droit, d’écraser l’autre ou de chasser en meute, qui un chauffeur et «son bus de merde» qu’on caillasse, qui une fille aux atours trop féminins pour ne pas être «une salope». Ce collégien se souviendra sans doute de cette gifle reçue pour l’insulte qu’il a proférée. Elle aura peut-être une valeur éducative, évitant que l’insulte restée impunie l’autorise, demain, à agresser physiquement un adulte qui lui ferait une remarque.

En effet, il faut s’inquiéter de la rapidité du passage des insultes aux coups devenue trop banale dans la jeunesse. Cela exige qu’on s’interroge sur notre modèle de civilisation, pas seulement sur notre «modèle de société» comme on l’entend dire pour la forme par ceux qui ont validé ce modèle de déconstruction de l’autorité et de la culture qui lui était adossée. La civilisation est une construction précieuse et fragile, élaborée par la chaîne de générations successives. La famille, où souvent le rôle du père s’efface soit pour ressembler à une maman-bis, soit pour déserter le champ éducatif abandonné à une mère qui doit jouer tous les rôles, est le lieu premier de la civilisation. Il est celui où se forge une vision du monde, des grands modèles d’action pour la vie future. Elle est ce lieu où se donne un enseignement moral qui n’a rien à faire dans l’école – lieu de transmission des savoirs et non une plateforme éducative où on formate les esprits aux enjeux de l’idéologiquement correct du moment, en se substituant à l’éducation familiale. La famille est ce lieu précieux qui préserve l’enfant de notre monde glorifiant l’utile et le bougisme, elle est le lieu où s’enseignent les permanences.

La rédaction vous conseille

Barbara Lefebvre

Contenus sponsorisés

——– Message transféré ——–

   
   
   
   

 

http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/09/18/31003-20180918ARTFIG00220–l-affaire-de-la-giffle-est-le-symptome-d-une-societe-en-manque-d-autorite.php

 

ma tentative de décryptage concernant l’élan populaire de soutien au chauffeur de la ratp – qui n’épuise pas le sens de ce fait d’actualité en apparence anecdotique…

 

amitiés

 

Barbara LEFEBVRE