Ian Brossat / Raphaël Glucksmann : quel point commun ? Par Alain Chouffan

 

 

 

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Ian Brossat / Raphaël Glucksmann : quel point commun ? Par Alain Chouffan

par admin

Ils sont tous les deux têtes de liste aux élections européennes, le premier du Parti communiste, le second du Parti socialiste. Mais encore ? Ils sont tous les deux les petits-fils d’espions soviétiques juifs passés par Israël.

Ian Brossat avait trois ans, en 1983, quand il allait voir son grand-père, Marcus Klingberg, qui avait travaillé pour le KGB, dans un étrange hôpital, en Israël. Trois ans plus tard, on lui expliquera qu’en fait, cet hôpital est une prison. Petit à petit, il découvre le destin hors du commun de ce grand-père, Marcus Klingberg, héros d’une des affaires d’espionnage les plus graves de l’histoire d’Israël (1).

Né en Pologne, en 1928, combattant antifasciste, engagé volontaire dans l’Armée rouge aux premiers jours de l’invasion allemande de l’Union soviétique, il s’installe en Israël, à la fin de la guerre. Spécialisé en épidémiologie, Marcus Klingberg codirige Ness Ziona, l’Institut ultra-secret de recherches sur les armes biologiques.

Arrêté en 1983, la vérité éclate : accusé d’être un agent du KGB, il avoue avoir transmis à l’URSS, pendant trente ans, gratuitement et sans regret, des documents secrets. Jugé sous un autre nom, il écope de vingt ans de prison. Auparavant, il avait disparu pendant 10 ans, de 1983 à 94, année de la révélation de l’identité de Marcus. Ou était-il ? Il était au secret, dans une cellule de la prison d’Ashkelon, à 50 kilomètres au sud de Tel Aviv. Motif : haute trahison ! Mais il a fallu attendre ces 10 ans pour que la censure israélienne autorise la publication de cette simple information : depuis son arrestation le 19 janvier 1983, le professeur Marcus Klinsberg, scientifique de renommée internationale a purgé au total une peine de vingt ans d’emprisonnement pour espionnage au profit de l’URSS.

“Mon grand-père avait résisté à la famine, à la barbarie nazie, à la guerre, aux virus et aux bactéries manipulées pendant des années, aux interrogatoires musclés, aux menaces et aux intimidations, à son veuvage, aux humiliations carcérales. Il résistait donc encore : à la dégradation de son corps et à l’obstination des autorités d’Israël. Moi, je savais pourquoi. Je savais depuis toujours que James Bond pouvait aller se rhabiller : Saba nous prouvait, épreuve après épreuve, qu’il était invincible” écrit Ian Brossat, 37 ans, normalien, agrégé de lettres modernes, dans son livre “ l’Espion et l’enfant ” (2) ou il reconstitue avec émotion l’histoire de son enfance et le passé de ce grand-père adoré, mort à Paris, en novembre 2015, à 97 ans. Ses cendres sont au columbarium du Père-Lachaise.

Depuis tout petit, Ian Brossat baigne dans l’idéal communiste. Son père, professeur de philosophie à l’Université Paris-VII, et sa mère, sociologue à l’Institut national de la Santé et de la Recherche (INSERM) ont milité ensemble à la ligue communiste révolutionnaire (LCR) dans les années 1970. Ian Brossat prendra, lui, sa carte du Parti communiste à 17 ans. Il a annoncé son mariage, avec Brice, le 6 juillet 2013. Un mois et demi après la promulgation de la loi sur le mariage pour tous. Son mari est professeur de maths en prépa au lycée Louis-le-Grand. L’élu n’hésite pas à le mettre en avant. En Août, les deux hommes prenaient la pose dans “Paris-Match”. En mode ‘Emmanuel et Brigitte” !

Raphaël Glucksmann

C’est une histoire presque identique que celle de Rubin Glucksmann (1889-1940), père d’André – originaire de Czemowitz, au nord de la Bucovine, région jadis roumaine, actuellement en Ukraine – et ancien combattant de la première guerre mondiale. Militant sioniste de gauche, avec sa femmes Martha (1903-1973), indépendamment l’un de l’autre, d’émigrer en Palestine mandataire, au cours des années 1920.

Martha travaille un temps dans un kibboutz, qu’elle quitte désabusée, pour revenir à Jérusalem où elle trouve un emploi de cuisinière et où elle rencontre son futur époux, qui travaille comme ouvrier à la construction de routes. Déçus par le sionisme, les deux jeunes gens adhèrent en 1923 au Parti communiste palestinien. Leurs filles, Eliza et Miriam naissent à Jérusalem en 1924 et 1928.

Vers la fin des années 1920, Rubin est recruté par les services secrets soviétiques, et dès 1930, sur ordre du Komintern , le couple quitte la Palestine pour s’installer à Hambourg, d’où Rubin, devenu officiellement agent d’assurance, peut effectuer de nombreux voyages en Europe centrale et en Union soviétique. Il devient agent de renseignement pour le GRU. La situation pour Rubin en tant qu’espion soviétique devient très dangereuse en Allemagne à partir de 1934. En 1935, quand les Glucksmann apprennent qu’ils sont recherchés par la Gestapo, ils s’enfuient en France. Rubin est employé par la Wostwag, une société écran du Komintern dont l’une des activités principales est de fournir du matériel aux Républicains espagnols.

Le 19 juin 1937, à Boulogne-Billancourt, Martha met au monde un garçon, que ses parents prénomment André Joseph en hommage à Ektar Josef André, cadre dirigeant d’origine juive, du Parti communiste d’Allemagne (KPD), décapité quelques mois plus tôt à Hambourg et dont le nom venait d’être donné au troisième bataillon des Brigades internationales en Espagne. Peu après la naissance de son fils, Rubin part travailler à Londres tandis que Martha reste en France pour permettre à leurs filles d’y poursuivre leur scolarité. A Londres, Rubin est arrêté et interné comme beaucoup d’autres immigrants par les autorités anglaises. Il meurt le 2 juillet 1940 dans le naufrage de l’Arandora Star, qui l’emmenait au Canada pour y être interné comme “agent ennemi”.

Alain Chouffan

1.Le dernier espion. Editions Nouveau monde. 2015. Traduit de l’hébreu par sa fille Sylvia, mère de Ian Brossat.
2. L’Espion et l’enfant. Editions Flammarion. 2016