L’avocat Gilles-William Goldnadel n’a pas de religion  ! Il a défendu tour à tour l’ancien maire UDF de Toulon Maurice Arreckx, le journaliste polémiste Patrick Buisson ou l’homme d’affaires russo-israélien Arcadi Gaydamak dans l’affaire de l’Angolagate. Autres causes parfois jugées indéfendables par ses confrères : la défense de la journaliste italienne Oriana Fallaci contre le Mrap, la Licra et la LDH pour son livre La Rage et l’Orgueil ou celle de Florian Philippot contre l’État du Qatar. Fondateur et président d’Avocats sans frontières et président de l’Association France-Israël, Gilles-William Goldnadel ne répugne pas à se rendre aux messes médiatiques des chaînes d’information permanente ou des plateaux des émissions dites de débats. Aussi, c’est en expert (et avec un peu de mauvaise foi) qu’il analyse les emballements et les excommunications médiatiques de l’époque. Son livre Névroses médiatiques, sous-titré Le monde est devenu une foule déchaînée (éd. Plon), tente d’expliquer pourquoi la religion cathodique a pris tant d’importance et n’accepte guère la critique et la contradiction.

Le Point : Pourquoi dites-vous que le monde médiatique est devenu «  fou  »  ?

Gilles-William Goldnadel : Je ne prétends évidemment pas que le monde ait été un jour raisonnable. L’homme ne l’est pas à temps complet, tant s’en faut, il est largement gouverné par ses instincts et son inconscient et Arthur Koestler, dans ses moments de déprime, prétendait même que si on voulait sauver le monde, il faudrait opérer l’homme du cerveau… Ceci posé, il est difficilement contestable que le monde médiatisé en permanence est devenu incontrôlable. Tout débat politique ou de société apaisé est devenu impossible. Les meneurs politiques sont aujourd’hui menés et surmenés. Sur la base de cette intuition que l’individu isolé, mais interconnecté constamment avec d’autres individus, est devenu une foule médiatique, j’ai revisité les Psychologies des foules de Gustave Le Bon puis de Sigmund Freud qui ont décrit les caractéristiques principales de l’individu en groupe faisant foule qui tient de la horde animale, instinctive, primitive, puérile, suiviste et guidée uniquement par son inconscient et ses sentiments. Eux-mêmes reconnaissaient que des individus isolés, mais unis par un courant d’opinion pouvaient faire foule. Aujourd’hui, à l’heure électronique d’Internet, le courant d’opinion est électrisé… il en advient un déferlement sentimental, irrationnel, névrotique et souvent haineux.

Quels sont les symptômes modernes de la névrose des peuples ?

À n’en pas douter, le sentiment victimaire et la course à la palme du martyrologe. Depuis plusieurs années, dans mes précédents ouvrages, je pointe la responsabilité du pseudo-antinazisme devenu fou. À partir du traumatisme de la Shoah s’est développée dans le mitan des années 1960, et principalement à partir de 68 (CRS/SS), une confusion névrotique laissant à penser que l’homme occidental était le père du racisme, et lui seul. Dans l’inconscient collectif européen, une religion post-chrétienne bâtie sur les ruines de l’ancienne a érigé une nouvelle crucifixion dont le nouveau Jésus était incarné par le juif en pyjama rayé. Comme le Christ de Judée, il ne souriait pas, il était décharné et ne se défendait pas. Quant à l’Antéchrist, il était incarné de manière convaincante par Adolf Hitler. Celui-ci était blanc : il en a résulté une sourde honte inconsciente au sein de l’inconscient collectif occidental.

D’un excès l’autre, l’être occidental, qui avait imaginé de manière assez méprisante l’être oriental, se figurait soudain inférieur moralement et débiteur éternellement à son égard. Au fil des années, une véritable religion s’est formée, avec ses petits clercs, ses grands prêtres, une démonologie, une martyrologie, des rites exorcistes qui excommunient, et des chasses aux sorcières. Un antiracisme de carnaval a sécrété une obsession de la race et un nouveau racisme dont la figure détestable du mâle occidental est devenue la cible. Un négationnisme de certains racismes est apparu dont, par exemple, l’antisémitisme islamique, puisqu’il n’émanait pas du seul raciste concevable. Ce pseudo- antiracisme aura même réussi le triste exploit de redonner une conscience chromatique au Blanc qui l’avait perdue. Dans le cadre d’une dialectique perverse, ce racisme anti-blanc va à nouveau fatalement entraîner un racisme anti-oriental. Triste bilan de faillite pour un antiracisme obsessionnel qui aura occupé en permanence l’univers médiatique.

Pour incarner davantage politiquement ce que je décris ici, il n’est pas douteux que l’extrême gauche que je nomme depuis longtemps islamo-gauchiste (terme qui l’exaspère) et ses relais pseudo-antiracistes auront été à la manœuvre ces trois dernières décennies.

«  Je reconnais sans barguigner ressentir un plaisir narcissique dans l’acquisition de la notoriété médiatique  »

Quels sont les derniers emballements médiatiques qui vous ont choqué  ?

Il me semble que le pseudo-antiracisme névrotique a grandement perdu de sa superbe depuis les attentats terroristes islamiques. Il a été en partie substitué par un antisexisme tout aussi névrotique émanant largement lui aussi de la gauche radicale, mais néopuritaine, très active de l’autre côté de l’Atlantique. De ce point de vue, il n’est pas douteux que le phénomène #MeToo conjugue à la fois ce néoféminisme-là avec l’hystérie électronique massive des foules médiatiques idéologisées que je pointe des deux côtés de l’océan. Ce qui ne m’empêche évidemment pas d’examiner l’extravagante affaire Théo, le traitement médiatique particulier à l’égard de Donald Trump ou encore les relations entre foule physique et foule médiatique concernant Gaza en particulier et le conflit israélo-palestinien en général.

Votre connaissance des dégâts que peuvent causer les médias devrait vous inciter à vous tenir éloigné d’eux. Et pourtant vous ne répugnez pas à prendre la lumière des plateaux de télé…

Je vous remercie de votre petite perfidie grandement pertinente… Vous vous doutez bien que je me suis posé souvent la question. D’abord, je suis bien heureux de pouvoir utiliser ma modeste influence pour combattre sur le terrain même de la passion médiatique, les excès médiatiques et l’idéologie cléricale de celle que j’appelle l’église cathodique et qui véhicule depuis un demi-siècle le catéchisme du pseudo antinazisme d’opérette. Je le fais avec mes moyens et mes méthodes : le raisonnement sans concession et la causticité, j’évite autant que faire se peut la colère, qui traduit une manière de faiblesse. Ensuite, je ne prétends pas être meilleur qu’un autre. Je reconnais sans barguigner ressentir un plaisir narcissique dans l’acquisition de la notoriété médiatique. La différence avec la plupart des autres, c’est que je ne cherche aucunement à le nier. J’ai acquis une manière de bonheur en acceptant la faiblesse des autres, j’accepte donc volontiers la mienne. J’y pose seulement une condition : être toujours moi-même et ne faire aucune concession lorsqu’il s’agit de mes convictions. Vous voyez : je veux bien être faible, à condition de rester fort…

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Y a-t-il des raisonnements, des points de vue que l’on ne peut plus tenir à la télévision  ?

Je ferai un large distinguo entre l’audiovisuel de service public et les chaînes privées. Sur le premier règne une matière d’autocensure exercée par le clergé de l’église cathodique en majesté. Le pluralisme est une fiction, et le CSA qui devrait le faire respecter est trop occupé à surveiller la bonne conduite morale sur les télés privées. On va sanctionner Hanouna ou RMC pour une mauvaise blague sur Nafissatou Dialo, mais Ruquier peut impunément appeler à l’assassinat du président élu des États-Unis d’Amérique. En revanche, le mâle blanc Tex va être viré comme un malpropre pour une mauvaise blague sur les femmes battues, conformément aux préconisations de la présidente Mme Ernotte qui veut moins de mâles blancs. Il s’agit d’un véritable scandale d’État, mais le plus grand scandale encore, c’est qu’il n’y ait pas scandale. L’Europe veut sanctionner la Pologne où l’audiovisuel serait parait-il cadenassé, mais j’ai peine à croire que la situation soit pire que sur Arte ou France Inter. Sur les chaînes privées françaises, de moindre qualité, reconnaissons-le, la situation est un peu meilleure, mais l’église cathodique veille à faire régner malgré tout l’idéologie du soupçon en matière d’antiracisme et de sexisme. J’ai fait dire récemment à Muriel Robin que le sketch très drôle sur les Noirs qu’elle montrait il y a 10 ans serait sans doute censuré. Elle n’a pas exclu qu’elle s’autocensurerait elle-même. Ainsi la gauche soixante-huitarde ménopausée est devenue la plus collet monté des mères la pudeur et ne répugne pas à jouer du martinet.

Qui sont les nouveaux maîtres du goût  ? Ceux qui décident s’il faut dire ou ne pas dire ?

La censure, l’autocensure et la mise à l’index ont plusieurs maîtres. Et je les décris dans mon livre, tout en les décriant. La première maîtresse, je l’ai dit, est l’église cathodique et ses petits clercs vétilleux qui veillent au bon respect de leur idéologie quasi religieuse, quand bien même celle-ci serait en bout de course. L’astre gauchisant est sans doute mort, mais ses rayons éclairent encore la planète médiatique de leur lumière aveuglante. Les seconds maîtres sont les individus isolés mais interconnectés qui sont capables d’exercer un lynchage médiatique contre les contrevenants hérétiques. C’est ainsi que, très concrètement, le CSA s’abrite derrière le nombre de dénonciations pour entrer en voie sanction.

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Peut-on stopper ces dérives ou est-il déjà trop tard  ?

Comme je l’écris dans mon livre lorsque je dénonce les dérives électroniques, on ne lutte pas contre la machine, notamment contre la machine médiatique à fabriquer de la foule. On ne détruira ni la radio, ni la télévision, ni Internet, ni l’iPhone et autres appareils enregistrant et filmant en permanence, ni toutes les inventions à venir pour davantage encore connecter les individus et les désindividualiser. Ce fatalisme, j’en conviens, n’a rien d’exaltant et rejoint la résignation orwellienne : «  Sans doute devons-nous prendre notre parti de la machine, mais comme nous prenons notre parti d’une drogue à absorber, c’est-à-dire sans enthousiasme et avec quelque méfiance.  »

En revanche, l’idéologie mortifère et névrotique du pseudo-antinazisme devenu fou est en phase terminale. C’est elle qui alimente jusqu’à présent le pouvoir médiatique. Elle sera progressivement remplacée, le processus a commencé, par une autre idéologie puisque l’homme est un animal religieux. Je forme modestement le vœu que celle-ci soit moins obsédée par les différences tout en les acceptant. Je souhaite également que l’église cathodique à venir comporte plusieurs chapelles et que ces nouveaux clercs soient d’essence laïque. Seuls le pluralisme et le refus de tout catéchisme peuvent sauver la démocratie de demain. Je prie donc pour qu’il ne s’agisse pas d’un vœu pieux…