“Juifs des pays arabes et d’Iran”: le sens de la “Journée du souvenir”   Prof. Shmuel Trigano

“Juifs des pays arabes et d’Iran”: le sens de la “Journée du souvenir”

 

Prof. Shmuel Trigano

 

Que celèbre-t-on dans “le jour du marquage de la sortie et de l’expulsion des Juifs des pays arabes et d’Iran”? Tout d’abord il faut dire que son instauration depuis 2014, sur la proposition de celui qui était alors député, Shimon Ohayon, constitue un acquis important. Mais la signification de cette journée et la façon dont on la célèbre, depuis, manquent de clarté. Sans doute parce qu’il y a un fossé entre le but de cette célébration, telle qu’elle est expliquée dans la Loi, “défendre les droits des réfugiés juifs à des réparations le jour où la paix sera conclue ” et la réalité objective, mais non reconnue, de ce qui est commémoré. Pourquoi est-il question de “marquage” et pas de “mémoire”? Pourquoi “Juifs des pays arabes et d’Iran et pas de Turquie? Et pourquoi n’est-il pas dit “des pays d’islam”, le critère qui unifie tous ces pays, ce que fait implicitement la loi, et qui fut le facteur de la conditiion des sépharades à travers l’histoire?

 

A quoi fait référence la “sortie”? Il s’agit en fait, tout simplement, d’évoquer la disparition, la liquidation, dans la violence,  d’un univers bi-millénaire en terres d’islam. La date de commémoration choisie qui pourrait nous renseigner n’est pas aussi claire: quel est le message de cette commémoration au lendemain du 29 novembre, date où l’ONU décida en 1947 du partage de la Palestine et de la création de deux Etats? Que la disparition du monde sépharade est la conséquence de la constitution de l’Etat d’Israel qui ainsi aurait causé (voire fomenté selon certains) la liquidation des communautés juives du monde arabe?  A moins que ce ne soit l’alya massive de ces Juifs répondant à l’appel messianique qu’ils entendaient venir d’Israël? Dans ces deux cas, c’est l’événement lui même qui est occulté et enterré. L’alya cache alors le drame qui précède et le messianisme la dimension politique de l’événement.

Cette occultation se donne à voir dans la façon dont est célébrée la cérémonie dans le grand amphi du Binyane haouma de Jérusalem, unique célébration sur le plan national. Elle ne délivre aucun message central et fort, entre la célébration de la culture sépharade et les témoignages victimaires individuels: c’est un moment de réjouissance et de nostalgie. L’abord purement testimoniel de l’événement commémoré élimine sa portée politico historique dans le temps présent et cet effacement s’inscrit dans une célébration culturelle et identitaire qui de surcroît l’occulte.

Or l’enjeu de cette histoire concerne le temps présent. C’est le droit moral autant que les réparations qui compte et pas seulement quand la paix sera au rendez vous. L’enjeu est double. Il interpelle d’abord ceux qui ont vécu ces événements et qui se sont vus interdire de mettre des mots sur le traumatisme qui a bouleversé leur vie, en redonnant leur caractère historique à ces événements. Il concerne la légitimité de l’Etat d’Israël accusé aujourd’hui dans l’arène internationale – et même en Israël – d’un “péché originel” constitutif de son existence, du fait de l'”injustice” commise par son existence même envers les Palestiniens. Or ceux qu’on accuse de “péché”, d'”apartheid”, de “racisme”, ceux sont justement les descendants de 600000 réfugiés juifs, devenus la majorité des citoyens israéliens, les descendants de ceux que les Etats islamiques ont chassés, violentés et spoliés. Le message de cette journée de commémoration doit restaurer le caractère historique et politique de cette histoire, partie intégrante de l’histoire du peuple juif au XX° siècle. C’est à ce chantier que le livre collectif (Sof hayahdut be artsot haislam) qui vient de paraître (Ed. Carmel) en hébreu[1][1] veut contribuer. Il met en parallèle le destin global de 11 communautés juives, 900000 Juifs entre 1940 et 1970, période qui s’inscrit de façon intrinsèque dans la suite du nazisme (le chef du nationalisme arabo-musulman, le mufti de Jérusalem devînt un dignitaire du régime nazi, fonda une légion SS musulmane dans les Balkans…), une période  durant laquelle se retira un pouvoir colonial qui avait été l’occasion d’une libération et d’un véritable âge d’or pour les peuples dominés de l’islam qui, ainsi, purent échapper à la Sharia et à la condition de dhimmi.

 

Ce message doit devenir un motif central du discours sur le conflit arabo)israélien – ce qu’il n’jamais été – , à savoir un discours affirmant la légitimité objective de l’Etat sur le plan de l’arène régionale: il y a eu un échange de populations avec les Arabes palestiniens, suite à une guerre d’extermination que ceux-ci ont provoquée et perdue avec les Cinq Etats arabes venus à leur rescousse. Sur ce plan là les descendants des réfugiés juifs ne se sentent aucun sentiment de culpabilité ni de responsabilité, aucun sentiment d’obligation envers les Palestiniens. Ils ont eux aussi les clefs de leur maison abandonnée!

 

   

 

[1][1] Le livre a été édité pour la première fois en 2009. Editions Denoël, Paris, “La fin du judaïsme en terres d’islam”..