La honte !

Farhi Daniel

2 h

La honte !

Le judaïsme nous enseigne qu’on ne doit pas « se lever » pour prier à partir de certains sentiments extrêmes tels que la joie, la tristesse, la colère, etc. (Berakhoth 31a). On ne doit le faire qu’à partir de la joie de l’accomplissement d’une mitsva (commandement). Aujourd’hui, 7 novembre 2018, moi, Daniel Farhi, je prends la parole, non pour prier, mais pour hurler ; et je le fais à partir de ma colère, mais en ayant conscience d’accomplir la mitsva de fidélité à la mémoire des quelque 76.000 Juifs arrêtés en France, parmi lesquels plus de 11.000 petits enfants évidemment innocents comme leurs aînés. Je hurle parce que le pays qui m’a vu naître en plein milieu de cette tragédie s’apprête – par la voix de son plus haut représentant, le président de la République Emmanuel Macron – à rendre un hommage national à l’un de ses prédécesseurs, responsable de ce que le président Jacques Chirac avait qualifié d’irréparable le 16 juillet 1995 devant le monument à la mémoire des victimes de la rafle du Vel’ d’Hiv’ du 16 juillet 1942. Oui Monsieur Macron : l’IRRÉPARABLE ! Et voilà que 74 ans après les dernières déportations de Juifs de France, vous vous apprêtez à honorer le « vainqueur de Verdun », philippe pétain (yimah shemo vezikhero, que son nom et sa mémoire soient effacés).

[Je signale à mes lecteurs que Word voulait me corriger en mettant des majuscules à philippe et à pétain au prétexte, sans doute, qu’il s’agit de noms propres. Pour moi, ils ne le sont pas : ce sont des noms salis par celui qui les a portés.]

Lors de l’hommage de samedi prochain, sept autres maréchaux de la « Grande guerre » seront également honorés : Joseph Joffre (1852-1931), Ferdinand Foch (1851-1929), Joseph Gallieni (1849-1916), Emile Fayolle (1852-1928), Louis Franchet d’Espèrey (1856-1921), Hubert Lyautey (1854-1934) et Michel Maunoury (1847-1923). Certains d’entre eux n’étaient « que » généraux lors de la guerre de 14-18 et ne furent élevés au rang suprême de maréchaux qu’après leur mort. Mais peu importe. Il se trouve que seul philippe pétain (1856-1951) vécut assez vieux pour s’offrir une seconde carrière en « faisant don de sa personne à la France » vaincue par l’Allemagne en 1940. Chef de l’Etat Français, il s’engagea résolument dans la collaboration avec l’occupant nazi pour protéger les Français de mesures encore plus terribles que celles qui leur furent infligées. C’est du moins ce qu’il plaida par la suite et que d’aucuns reprirent à travers des explications apologétiques aussi fumeuses qu’embarrassées. Ce qui est certain, c’est que pétain organisa à merveille la « solution finale » des nazis. Il devança même leurs désirs non exprimés comme, entre autres, l’arrestation et la déportation des très jeunes enfants avec ou sans leurs parents. Grâce à Serge Klarsfeld, on a retrouvé des ordres annotés par pétain aggravant des dispositions concernant le sort des enfants. Rappelons quand même, au risque d’éclabousser la mémoire du regretté faurisson, que ces enfants que, d’un coup de plume, le chef de l’Etat Français expédiait à Auschwitz, périrent dans les chambres à gaz, détail de l’histoire !

Donc, Monsieur le président Macron, vous vous apprêtez à commettre à nouveau l’IRRÉPARABLE samedi prochain en honorant celui dont, en juillet 2017, fraichement élu à la fonction suprême, vous condamniez l’action en reprenant les termes de Jacques Chirac. Vous allez mettre vos pas dans ceux de François Mitterrand qui, année après année, fit fleurir la tombe de pétain sur l’île d’Yeu, lui, l’ami de rené bousquet. Et vous allez le faire en mêlant l’indigne national à la mémoire de sept autres grands militaires. Et vous allez le faire dans cette même cour des Invalides où jadis le capitaine Alfred Dreyfus fut dégradé, où vous honorâtes Simone Veil, Claude Lanzmann, Jean d’Ormesson et Charles Aznavour ! N’aurez-vous pas l’impression de commettre un sacrilège par rapport à la mémoire de ces grands disparus dont l’une fut déportée et l’autre immortalisa la Shoah par ses films ? Monsieur le président Macron, vous avez déclaré : « Je ne fais aucun raccourci, mais je n’occulte aucune page de l’Histoire. Le maréchal Pétain a été pendant la Première Guerre mondiale un grand soldat […] Nous sommes en train de fêter le centenaire de la victoire et de la paix. La victoire d’une nation combattante. C’est pour ça que j’ai voulu que les Poilus et ceux de 14 rentrent au Panthéon. C’est aussi la victoire d’une armée française et de ses maréchaux. Il est donc normal de les célébrer et de permettre à l’armée française de le faire […] C’est une réalité de notre pays. C’est aussi ce qui fait que la vie politique, comme l’humaine nature, sont parfois plus complexes que ce qu’on voudrait croire. On peut avoir été un grand soldat pendant la Première Guerre mondiale, et avoir conduit à des choix funestes pendant la Deuxième. ».
Monsieur le président Macron, je m’oppose en faux à ces propos. Je ne sais pas ce que sont les mystères de l’« humaine nature » que mon grand âge ne m’a pas encore permis de percer ; mais je sais que même si on a été un type bien dans jeunesse, on ne peut s’en réclamer pour justifier son infamie plus tard. Vous appelez pudiquement l’action de pétain dans les dernières années de sa vie « des choix funestes ». « Ah ! Qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! » C’est là un raccourci étrange de l’histoire que vous nous proposez. Nous, Français, Juifs, ne l’entendons pas ainsi. Nous pleurons nos morts tous les jours dans nos cœurs et ce que vous allez faire samedi (même si vous n’y serez pas présent, paraît-il) est une atteinte intolérable qui viendra raviver les blessures impansables (écrivez-le comme vous voudrez). Sachez que nous serons nombreux, très nombreux à souffrir ce jour-là de cette terrible gifle assénée à notre histoire nationale et communautaire. Mais nous chargerons encore plus de signification la bénédiction qu’au même moment nous réciterons dans nos synagogues : « Conserve (à la France) son esprit de noblesse parmi les nations ».
Daniel Farhi.