Quel avenir pour le statut des réfugiés

Quel avenir pour le statut des réfugiés

Par Thierry Oberlé 
Publié le 07/10/2018 à 19h47

DÉCRYPTAGE – Le sort de cette population demeure l’une des principales pommes de discorde entre Israéliens et Palestiniens. Le virage opéré par Donald Trump plonge l’aide aux réfugiés dans l’incertitude.

 

Correspondant à Jérusalem

En suspendant son soutien financier aux réfugiés palestiniens, qui sont passés de 750.000 en 1948 à plus de 5 millions aujourd’hui, l’Administration américaine tente d’ouvrir un débat sur leur statut et sur celui de l’agence onusienne chargée de leur venir en aide.

 

Qui sont les réfugiés palestiniens?

Les réfugiés palestiniens ont abandonné leurs maisons et leurs terres à la fin du mandat britannique, durant la guerre israélo-arabe de 1948. Ils ont fui les combats ou ont été expulsés par l’armée israélienne. Cet exode est appelé dans la mémoire collective palestinienne la Nakba, le «désastre». En 1967, une seconde vague de Palestiniens a pris le chemin de l’exil à l’issue de la guerre des Six-Jours. Près d’un million de réfugiés sont alors dispersés en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Ils sont aujourd’hui plus de cinq millions. Leur statut est unique au monde puisque la plupart d’entre eux sont pris en charge par un organisme international spécifique, l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA). Ce sont aussi les réfugiés les plus vieux de la planète. Leurs droits varient selon leur pays d’accueil. Ils ont été naturalisés en Jordanie tandis que les autres pays arabes les ont laissés apatrides.

 

En décembre 1948, la résolution 194 des Nations unies s’est prononcée en faveur du droit au retour dans leurs foyers des Palestiniens. Renouvelée chaque année, mais non votée par les États-Unis depuis 1994, elle reste lettre morte faute d’un accord de paix. Israël l’a toujours rejetée, notamment de crainte que sa mise en œuvre ne crée un déséquilibre démographique dans ses frontières. Les responsables palestiniens continuent à en défendre le principe en dépit de son caractère utopique. Le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza et refuse de reconnaître la légitimité de l’État hébreu, en a fait son cheval de bataille avec la «marche du retour», une mobilisation populaire lancée dans le territoire en mars. «Les Palestiniens n’accepteront pas de changement de leur statut tant que les Israéliens n’auront pas fait un pas en échange. Ils demandent la reconnaissance de la responsabilité israélienne dans leur départ forcé», explique Jalal Al Husseini, chercheur à l’Institut français pour le Proche-Orient (IFPO).

 

Pourquoi Donald Trump a-t-il cessé de financer l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens?

Le département d’État a annoncé le 31 août la suspension de sa contribution financière à l’UNRWA car il considère que le modèle économique et les pratiques budgétaires de l’agence présentent des «défauts irrémédiables». À la Maison-Blanche, Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, va même jusqu’à qualifier dans des mails révélés par le magazine Foreign Policy l’organisme de «corrompu», d’«inefficace» et affirme qu’il vaut mieux le «liquider». Ce réquisitoire sans appel constitue un revirement majeur de la politique de l’Administration américaine. Washington était jusque-là le principal contributeur de l’UNRWA. Avec 350 millions de dollars (300 millions d’euros) versés en 2017, il finançait plus du tiers de son budget.

Le 1er septembre, au lendemain de ce que l’agence considère comme un «coup de force», le haut-commissaire de l’UNRWA, le Suisse Pierre Krähenbühl a dénoncé dans une lettre ouverte «une politisation évidente de l’aide humanitaire». Le retrait américain est, selon lui, «lié aux tensions entre les États-Unis et les dirigeants palestiniens» à la suite du transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Chargé par son beau-père de plancher sur un «plan de paix», Jared Kushner souhaiterait in fine une réduction drastique du nombre de Palestiniens considérés comme des réfugiés. Il chercherait également à amener les dirigeants palestiniens à abandonner les revendications pour le droit de la plupart des cinq millions de réfugiés à retourner sur les terres israéliennes.

 

 

Quelles sont les conséquences du désengagement?

Les milieux diplomatiques européens craignent une déstabilisation des Territoires palestiniens en général et de la bande de Gaza en particulier, une zone touchée par un chômage endémique et placée sous blocus par Israël mais aussi par l’Égypte depuis de nombreuses années.

 

Au total, plus de 520.000 enfants palestiniens étudient dans les écoles de l’UNRWA qui fournit aussi des soins et un soutien social. Son budget financé par des contributions volontaires des États membres est en déficit chronique en raison de la croissance démographique de la population palestinienne et d’un élargissement de ses activités. Le désengagement américain a, en fait, aggravé une crise structurelle. L’agence avait prévu, avant la crise avec les États-Unis, de supprimer des centaines de postes à Gaza, où elle est l’un des principaux pourvoyeurs d’emplois du territoire et en Cisjordanie occupée. L’UNRWA a procédé la semaine dernière à un retrait provisoire d’une partie de son personnel étranger de Gaza en raison de menaces de syndicalistes dénonçant son plan social. Une paralysie de ses activités pourrait provoquer des débordements et des réactions en chaîne incontrôlables.

Durant l’Assemblée générale des Nations unies de septembre, l’UNRWA est parvenue à collecter 122 millions de dollars pour compenser la dérobade américaine. Le Koweït et l’Union européenne ont promis les plus grosses contributions avec l’Allemagne, l’Irlande et la Norvège. La France s’est engagée à débloquer 20 millions d’euros en 2019, soit près du double de sa contribution de cette année. «Le succès de la levée de fonds a été retentissant. Nous sommes confiants même s’il nous reste un bout de chemin à parcourir», commente Maria Mohammedi, conseillère principale du patron de l’UNRWA. L’existence de l’agence ne semble pas remise en question.

 

Le statut des réfugiés palestiniens est-il caduc?

Israël accuse l’organisation de prolonger le conflit israélo-palestinien en entretenant le mythe d’un retour des réfugiés sur des territoires qu’ils ont perdu par la guerre lors de la création d’Israël puis lors du conflit de 1967. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s’est réjoui de la décision américaine de couper les vivres à l’agence. Selon lui, l’UNRWA «perpétue la situation des réfugiés au lieu de chercher à la résoudre». Il s’oppose à l’hérédité du statut de réfugié pourtant communément admise par la communauté internationale. «Le concept d’une transmission du statut de réfugié de père en fils ou fille sur cinq générations est une aberration totale», estime le diplomate israélien, Emmanuel Nahshon. Selon lui, l’UNRWA a pour principal défaut de «renforcer la victimisation des Palestiniens». «Il suffit de jeter un œil sur les manuels scolaires distribués dans ses écoles pour s’en rendre compte», dit-il. «On y enseigne l’incitation à la violence. À Gaza, des tirs de roquettes visent Israël depuis des sites situés à proximité des enceintes scolaires. Cela ne peut pas continuer ainsi». L’équipe qui gère le dossier israélo-palestinien à la Maison-Blanche, représentée à Jérusalem par l’ambassadeur américain David Friedman, partage ces convictions.

 

Le virage amorcé par Donald Trump peut-il régler la question des réfugiés palestiniens?

L’inextricable problème des réfugiés palestiniens est, avec le tracé des frontières et le statut de Jérusalem, revendiqué comme capitale par les deux parties, la principale pomme de discorde entre Israéliens et Palestiniens.

Durant les négociations qui avaient suivi les accords d’Oslo, le sujet avait été relégué au second plan dans l’espoir d’un règlement a minima du conflit. Les gouvernements israéliens successifs qui se sont relayés au pouvoir n’ont jamais admis une part de responsabilité dans l’exode des Palestiniens. Yasser Arafat et son successeur, Mahmoud Abbas, ont, pour leur part, tenté d’obtenir des gains territoriaux pour pouvoir ensuite revenir sur cette question en discutant d’État à État.

 

Élaborée dans la discrétion, la nouvelle stratégie américaine n’apparaît que par fragments. En mai, le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem a entériné la reconnaissance de la Ville sainte comme capitale d’Israël. En septembre la rupture avec l’UNRWA bouscule le tabou du statut des réfugiés palestiniens. La méthode repose, au nom d’un pragmatisme disruptif, sur une modification des paramètres d’un conflit englué depuis soixante-dix ans. Elle entend tenir compte des réalités du terrain mais n’a pas permis, pour l’instant, de dégager des ébauches de solutions négociables.