“Israël : État-nation”

La loi “Israël : État-nation,” récemment votée par la Knesset, a suscité une polémique tant en Israël qu’à travers le monde. En France, la critique est à la fois virulente et consensuelle. Samy Cohen a qualifié la nouvelle loi de “régression démocratique” dans Le Monde ; René Backmann a décrété dans Médiapart que cette loi fait d’Israël un pays “nationaliste, ségrégationniste, raciste, et communautaire.” Je conteste ces interprétations et ces jugements. La loi comporte onze articles. Elle définit Israël comme l’État-nation du peuple juif et codifie l’hymne national, le drapeau, la langue officielle, les fêtes nationales, et le lien entre Israël et la Diaspora. Mise à part la question de la Diaspora, la nouvelle loi ne diffère en rien des constitutions de la plupart des pays européens. La constitution de la Cinquième République codifie la langue officielle, le drapeau, et l’hymne national (Article 2) ; les trois premiers mots du préambule de la constitution sont “Le peuple français.” Dix-sept des vingt-huit pays membres de l’Union européenne ont une constitution dont le préambule proclame la souveraineté au nom d’un peuple. Israël n’a pas de constitution, mais des lois fondamentales auxquelles la Cour suprême a attribué un statut constitutionnel. La loi “Israël : État-nation” est une loi fondamentale. Les principes d’égalité et de liberté sont déjà codifiés en droit israélien, tant par les lois fondamentales existantes que par la jurisprudence de la Cour suprême.

La nouvelle loi fondamentale ne remplace pas les lois fondamentales existantes ; elle complète un arsenal constitutionnel inachevé. Elle ne remplace pas non plus la Déclaration d’Indépendance d’Israël, puisque celle-ci n’a pas force de loi (suite à une décision de la Cour Suprême en 1948). La loi “Israël : État-nation” ne met pas fin au statut officiel de la langue arabe, puisque l’Arabe n’a jamais été formellement une langue officielle en Israël. L’Arabe avait statut de langue officielle sous le Mandat britannique, au même titre que l’Anglais et l’Hébreu. Avec l’indépendance d’Israël en 1948, le Conseil national temporaire statua que le droit mandataire britannique continuerait d’être en vigueur tant que non supplanté par la législation israélienne. Or cette législation, ainsi
que la jurisprudence de la Cour suprême, a fait de l’Arabe une langue reconnue mais pas officielle. La loi exige que les listes de partis et de candidats aux élections soient en Hébreu, mais autorise les partis à traduire les noms de leurs candidats en Arabe. La Cour suprême a obligé l’État à faire figurer l’Arabe aux côtés de l’Hébreu sur certains panneaux de signalisation, mais a refusé de rendre ses arrêts en Arabe. Ce statut reconnu mais non-officiel de la langue arabe est préservé et codifié par la nouvelle loi fondamentale. La loi “Israël : État-nation” ne discrimine pas les Druzes ou autres minorités. Ayoub Kara, le ministre israélien de la communication, est Druze. Il a voté en faveur de la loi parce que, a-t-il expliqué, “Si l’État juif n’existait pas, nous-autres Druzes serions massacrés comme en Syrie. C’est grâce aux Juifs que nous sommes libres.” L’article 10 de la loi statut que les minorités ont le droit de choisir leur jour de repos hebdomadaire et de chômer pendant leurs fêtes religieuses. Les accusations faites à l’encontre de la nouvelle loi fondamentale sont donc factuellement infondées. Mais cette loi était-elle nécessaire ? Oui, elle l’était pour contrecarrer l’activisme judiciaire. Ces deux dernières décennies, la Cour suprême d’Israël a étendu ses pouvoirs en s’attribuant le droit d’abroger a posteriori des lois qui contredisent à ses yeux les lois fondamentales ; en annulant le principe de locus standi ; et en décrétant que tous les pourvois en cassation sont recevables (même pour des questions non juridiques). C’est ainsi que des ONG (souvent financées par les gouvernements européens) ont transposé leur activisme politique au terrain juridique en faisant bloquer des décisions gouvernementales et en faisant abroger des lois. Cet activisme judiciaire débridé menace potentiellement les symboles, les lois et les pratiques qui peuvent être accusés de ne pas être strictement égalitaires (l’hymne national chante le retour à Sion, et la loi du retour privilégie l’immigration juive). La nouvelle loi fondamentale fournit à la Cour suprême la base constitutionnelle pour préserver les lois et symboles qui font d’Israël un Étatnation. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes fut reconnu comme universel par la Société des Nations après la Première Guerre mondiale. Ce droit s’applique au peuple juif. Ceux qui remettent en cause aujourd’hui la légitimité de l’État-nation se doivent d’appliquer leur logique à tous les États-nations, et pas seulement à l’État-nation des Juifs. Et ceux qui veulent remettre en cause le droit des Juifs à disposer d’eux-mêmes ne peuvent désormais plus le faire par voie juridique.

Emmanuel Navon est un géopolitologue qui enseigne à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire de Herzliya (IDC). Il est membre du Forum Kohelet, le think-tank qui a conçu et promu la loi “Israël : Étatnation