Procès Georges Bensoussan : séisme et répliques

12/06/2018 Danielle Khayat
Procès Georges Bensoussan : séisme et répliques
Par Danielle Khayat*
Tous ceux qui ont suivi le procès intenté à Georges Bensoussan ont, d’emblée, eu le sentiment d’un séisme.
Après les attentats contre CHARLIE-HEBDO dont le deuxième, le 07 janvier 2015, a décimé la rédaction parce que cet hebdomadaire satirique avait publié des caricatures de Mahomet – précédemment parues dans un journal danois et en soutien au dessinateur menacé de mort à la suite d’une fatwa – la liberté d’expression en France n’a cessé d’être contestée devant les tribunaux. C’est ce que l’on appelle le «djihad judiciaire» : les propos critiques de l’islam ou perçus comme tels valent le «banc de l’infamie» à leurs auteurs, c’est-à-dire la mort sociale – quand de n’est pas la mort physique sous les balles, les coups de couteau, ou les roues d’un camion pour ceux dont les comportements sont considérés comme blasphématoires ou impies.
On pouvait légitimement penser que ce terrorisme intellectuel serait combattu par les pouvoirs publics, comme ceux-ci luttent contre le terrorisme armé, le terrorisme physique – d’autant que les auteurs qui déplaisent ont déjà été, dans le passé, victimes de fatwas et donc menacés de mort, tels Salman Rushdie et Robert Redeker.
Il n’en a rien été. Aucune orientation de la politique pénale en la matière n’a été donnée par la Chancellerie aux Parquets.
Et c’est à l’initiative du Ministère Public, sur dénonciation du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), que Georges Bensoussan a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Paris le 25 janvier 2017. Et c’est encore sur appel du Parquet contre le jugement prononçant la relaxe de l’historien le 07 mars 2017, qu’il a comparu devant la Cour de Paris le 29 mars 2018 : pour être précis, le Parquet a fait appel le 10 mars 2017, emboîtant ainsi le pas au CCIF et au Collectif de Soutien Ô Sans-Papiers – qui n’était pas partie civile en première instance – qui avaient interjeté appel le jour même du jugement. Le 24 mai dernier, la Cour d’appel de Paris confirmait la relaxe de Georges Bensoussan, le lavant de l’accusation d’incitation à la haine raciale comme de celle d’injure à caractère racial – les parties civiles, suivies par le Parquet Général dans ses réquisitions orales, ayant, devant la Cour, demandé la requalification des faits dans des conditions fort discutables au regard des règles tant procédurales que déontologiques.
Généalogie d’un étrange procès
Historien réputé tant en France qu’à l’étranger, spécialiste de la Shoah et de l’antisémitisme, ainsi que des génocides arménien et tutsi, Georges Bensoussan est l’auteur de nombreux ouvrages sur ces thèmes mais également sur le sionisme, sur la situation des Juifs en terres arabo-musulmanes, sur la désintégration des populations vivant dans Les territoires perdus de la République et la montée corrélative qu’y connaissent l’islamisme et l’antijudaïsme.
Le 10 octobre 2015, invité, à l’occasion d’une nouvelle édition des Territoires perdus de la République, dans l’émission «Répliques» animée sur France-Culture par le philosophe et Académicien Alain Finkielkraut, Georges Bensoussan était opposé au démographe Patrick Weil. «Le débat était tendu, vif, agressif parfois, mais il portait sur une des questions les plus brûlantes de notre époque, la situation de la France», rappelait A. Finkielkraut devant le Tribunal correctionnel. Pour illustrer son propos sur la montée de l’antijudaïsme dans certaines banlieues, G. Bensoussan cita de mémoire les propos tenus, dans une émission télévisée qui devait être prochainement diffusée mais qu’il avait déjà visionnée, par le sociologue franco-algérien Smaïn Laacher. De mémoire et non textuellement, car il employait une métaphore similaire mais non identique à celle du sociologue : en effet, au lieu de l’expression «déposé sur la langue», il dit de l’antisémitisme dans la culture arabo-musulmane qu’il était «tété avec le lait de la mère». Pour les pourfendeurs de la liberté de poser des constats et de penser, la cause était entendue : G. Bensoussan incitait à la haine contre les musulmans, et son « islamophobie » devait être poursuivie et sanctionnée. Des pétitions circulèrent sur le site de MEDIAPART, appelant à des poursuites pénales et à l’éviction de G. Bensoussan de son emploi au Mémorial de la Shoah.
Le Tribunal correctionnel puis la Cour d’appel de PARIS ont fait litière des accusations portées contre G. Bensoussan.
Il n’est pas sans intérêt de souligner ici que, dès le mois de juin 2017, soit trois mois après le jugement du Tribunal correctionnel, mais aussi après les procès intentés notamment à Eric Zemmour et Pascal Bruckner pour incitation à la haine raciale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a durci les conditions de mise en œuvre du texte réprimant ce délit, et – on peut l’espérer – mis ainsi un terme au terrorisme intellectuel via le « djihad judiciaire » dont des associations dites antiracistes se sont fait le porte-étendard au moyen de dénonciations systématiques au Parquet de tout propos critique de l’islam ou de certains de ses adeptes – ces dénonciations étant suivies de poursuites pénales par le Ministère Public.
L’instrumentalisation de la justice à laquelle on assiste depuis plusieurs années connaîtrait ainsi un heureux épilogue.
Un séisme…
En dépit de la relaxe prononcée en première instance et en appel, les poursuites intentées par le Parquet contre Georges Bensoussan ont constitué un séisme, et celui-ci a des conséquences qui sont tout sauf négligeables…
Des conséquences pour l’homme et l’historien d’abord, bien sûr. On ne sort pas indemne de plus de deux ans de combat contre des accusations d’incitation à la haine raciale, aussi graves qu’injustifiées. D’autant que la qualité d’historien et directeur éditorial au Mémorial de la Shoah a été une sorte de circonstance aggravante soulignée ad nauseam lors des débats, alors qu’elle aurait dû conduire à s’interroger sur la simple pertinence de l’accusation de racisme portée contre une personne ayant consacré son existence à en démonter les ressorts et à en décrire les tragiques conséquences. Sauf qu’à l’évidence, pour ceux qui le pourchassaient, ce gibier était la proie rêvée : un spécialiste mondialement reconnu de la Shoah, un Juif par surcroît, et sioniste en plus, qui a osé décrire la condition précaire et misérable des Juifs en terres arabo-musulmanes et ainsi anéantir le mythe de « l’âge d’or d’Al-Andalous », le faire condamner comme raciste «islamophobe»… De quoi combler tous les fantasmes des antiracistes qui ont enterré la lutte contre l’antisémitisme – au point même de faire disparaître ce mot de leur dénomination, comme l’a fait le MRAP. De quoi également réaliser le rêve des islamistes de faire taire toute critique contre l’islam – considérée comme un blasphème – et ainsi, selon les mots du théologien égypto-qatari Youssef Al- Qaradawi, de nous «vaincre par nos lois » avant de nous « asservir » aux leurs.
Les blessures endurées seront longues à cicatriser, et les diatribes entendues difficiles à oublier. Et on ne peut que souhaiter à Georges Bensoussan de retrouver, le plus vite possible, la sérénité et la paix dont il été odieusement privé pendant trop longtemps.
Conséquences pour la liberté intellectuelle ensuite. Car, à travers de procès emblématique, c’est elle qui était visée, ainsi que l’ont admirablement rappelé notamment Alain Finkielkraut et Mme Elisabeth de Fontenay lors du procès en première instance, Philippe Val et Mme Noëlle Lenoir devant la Cour d’appel. Des paroles puissantes résonnèrent, qui dénonçaient une stratégie d’intimidation visant non seulement la liberté d’expression, mais la liberté de penser, et rappelaient que «le droit à la critique est un fondement de la vie publique» (Mme Lenoir) et qu’il s’agit d’ « une question de vie ou de mort de notre démocratie» (P. Val).
…et ses répliques
Comme tout séisme, ce procès a eu des répliques, et elles ne sont sans doute pas terminées.
– La première de ces répliques a commencé le jour même de l’ouverture du procès, le 25 janvier 2017. Ce jour-là, on vit sur les bancs des parties civiles, aux côtés du CCIF, des associations se revendiquant de la lutte contre le racisme : MRAP, SOS. RACISME, LDH, LICRA. Un attelage des plus improbables et pourtant bien réel contre le Directeur éditorial du Mémorial de la Shoah, un chercheur respecté : « L’aura dont bénéficie Georges Bensoussan et le fait qu’il a eu raison avant les autres, ne sont-ils pas à l’origine du procès qui lui est fait ? » s’interrogeait Mme Lenoir.
Au nombre de ses accusateurs de Georges Bensoussan, la LDH, fondée en 1898 pour défendre le Capitaine Dreyfus ; la LICRA, fondée par Bernard Lecache sous le nom initial de LIGUE CONTRE LES POGROMS. Le dévoiement de ces deux associations qui, au nom de l’antiracisme, s’allient aux islamistes du CCIF, suscite chagrin et colère.
S’agissant de la LDH, elle n’en est malheureusement pas à son premier dérapage, tant s’en faut. Défilant à l’été 2014 dans des manifestations où étaient brandis des drapeaux du Hamas et du Djihad islamique, et où retentissaient les cris de «Mort à Israël, mort aux Juifs », la LDH montrait alors qu’elle avait tourné le dos aux idéaux de ses fondateurs, tant il est vrai que l’antisionisme n’est que le nouveau visage de l’antisémitisme, « la permission d’être démocratiquement antisémite » selon les mots prémonitoires de V. Jankélévitch dans L’imprescriptible. Le Parlement Européen lui-même l’a récemment reconnu.
Quant à la LICRA, en s’acoquinant avec le CCIF dans sa volonté de tuer socialement et académiquement Georges Bensoussan, elle allait connaître une crise sans précédent. Alain Finkielkraut démissionnait sur-le-champ de son comité d’honneur. Et son président en exercice dut se résigner à démissionner. Certes, elle fut absente – comme S.O.S. RACISME – devant la Cour d’appel. Mais l’honneur ne se perd qu’une fois, et sa crédibilité est plus qu’entamée par le compagnonnage douteux dans lequel elle s’est compromise.
Et, de façon plus générale, on relève qu’au nom de l’antiracisme, les associations qui se prévalent de défendre cette cause soutiennent les mouvements se revendiquant de l’anticolonialisme et du « racialisme », c’est-à-dire des mouvements racistes anti-blancs, anti-français, sexistes, homophobes et anti-juifs sous couvert d’antisionisme qualifié de raciste et colonialiste. A cet égard, le procès de Georges Bensoussan est emblématique d’une alliance inespérée pour les islamistes : celle d’associations créées pour lutter contre l’antisémitisme et qui vont se liguer avec le CCIF contre celui qui dénonce l’antisémitisme arabo-musulman. On invoque les droits de l’Homme pour disculper aussi bien les terroristes qui tuent en Israël que les islamistes anti-juifs qui terrorisent les Juifs en France (et ailleurs en Europe) et vont jusqu’à les assassiner. Tuer des personnes uniquement parce qu’elles sont juives, cela ne s’était plus vu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en Europe. C’est pourtant ce que connaît la France depuis le début de ce XXIème siècle, et les assassins revendiquent de le faire au nom de l’islam. Mais le dire vaut les foudres des antiracistes, alors que la seule manière de combattre ce fléau est de le nommer et d’en analyser les causes pour s’y attaquer résolument. Dénier la réalité de l’antisémitisme d’origine arabo-musulmane est, à l’inverse, lui assurer de prospérer et donc de fragmenter encore davantage la société française, de fouler au pied les valeurs fondatrices de la République et de développer les communautarismes qui en sont la négation absolue. Comme le soulignait Alain Finkielkraut, « le problème n’est pas de savoir si Georges Bensoussan est coupable mais de savoir s’il dit vrai ».
– L’autre réplique sismique s’est manifestée ouvertement le vendredi 1er juin dernier, mais elle grondait en souterrain depuis le premier semestre 2016, quand le Parquet décida de donner suite à la dénonciation en mars par le CCIF des propos tenus par Georges Bensoussan dans l’émission « Répliques ».
Historien travaillant depuis 25 ans au Mémorial de la Shoah, Georges Bensoussan avait déjà indisposé les dirigeants de cette institution quand, sous le pseudonyme d’Emmanuel Brenner, il avait dirigé la rédaction de l’ouvrage Les territoires perdus de la République. Paru en 2002, ce livre documenté, étayé de témoignages et faits précis, décrivait une réalité connue des acteurs de terrain (policiers, magistrats, enseignants …), mais qui était tue, gardée secrète. Les émeutes d’octobre-novembre 2005 devaient la faire éclater au grand jour – et au monde entier.
Lorsque le Parquet décida de poursuivre Georges Bensoussan pour les propos qu’il avait tenus dans « Répliques », la pression se fit plus forte.
Pas de présomption d’innocence pour Georges Bensoussan : il fut déchargé de ses missions de formation au Mémorial auprès des magistrats, des policiers, des enseignants.
Dans un article courageux paru dans « Tribune Juive » le 24 mai 2018, sitôt rendu l’arrêt de la Cour d’appel, Sarah Cattan, qui avait enquêté notamment auprès des dirigeants du Mémorial, dénonça l’attitude des « Juifs de cour », à l’égard de Georges Bensoussan et la compara à celle qu’eurent leurs prédécesseurs «israélites» (comme ils se nommaient eux-mêmes alors) au moment de l’affaire Dreyfus. Elle citait des propos qui lui avaient été tenus concernant l’historien, qui témoignaient d’une hostilité non dissimulée.
– Une semaine plus tard, le 31 mai, le site AKADEM mettait en ligne l’entretien de Georges Bensoussan avec Antoine Mercier, enregistré trois jours plus tôt. Un entretien de haute tenue intellectuelle, comme on pouvait s’y attendre, au cours duquel il fut bien sûr question de l’article de Sarah Cattan, de l’attitude des « notables juifs », de la fin de toute activité de Georges Bensoussan au sein du Mémorial dès le mois de juillet prochain (en raison de la retraite de l’historien du Ministère de l’Éducation), y compris celle de Directeur de la Revue.
Le lendemain, le vendredi 1er juin dans la soirée, un message sur le site Facebook de l’association « Voir et Dire ce que l’on voit » annonçait : « La vidéo entretien entre Georges Bensoussan et Antoine Mercier mise en ligne hier a été supprimée suite à des pressions de dirigeants communautaires envers la direction d’Akadem pour réaliser des coupes. La direction a préféré retirer la vidéo dans son intégralité plutôt que de se soumettre à la réalisation d’un montage qui aurait rappelé les belles heures de la propagande (stalinienne ou autres…). Nous soutenons la décision de la direction d’Akadem et son souci d’intégrité ».
Ainsi, dans la journée du vendredi 1er juin, certains « dirigeants communautaires », au lieu de se préparer à célébrer le Shabbat, faisaient pression sur la direction d’AKADEM pour que cette vidéo entretien soit l’objet de « coupes », autrement dit que certains passages soient supprimés. Qui sont-ils, ces adeptes de la censure nord-coréenne, on l’ignore. Nous sommes nombreux à être abasourdis et scandalisés. Et à vouloir des explications – à supposer qu’il en existe d’autres que le refus de toute critique, la pusillanimité et l’aveuglement volontaire devant les dangers grandissants pour les Juifs et la République. Qu’ils soient rassurés : nous savons tout cela, mais nous n’avons pas pour habitude de plier aux injonctions de nous taire, qu’elles viennent du CCIF ou de nos rangs.
Pendant plusieurs jours, si la vidéo avait effectivement été supprimée, l’enregistrement vocal était toujours en ligne. Il ne l’est plus.
Il est dit que le Judaïsme repose sur trois piliers que sont la paix, la vérité et la justice. L’attitude des « dirigeants communautaires » qui se sont livrés à cette basse manœuvre de censure d’un homme probe et courageux prouve le peu de respect qu’ils éprouvent pour ces valeurs fondatrices du Judaïsme et interpelle sur leur légitimité à la place qu’ils revendiquent. En cette semaine où sera lue la parasha Kor’ah, il serait salutaire qu’ils en méditent le sens et la portée… DK♦
* Magistrat en retraite