Jérusalem: les surprises de l’Histoire

Jérusalem: les surprises de l’Histoire

 Par Christian Makarian, publié le , mis à jour à 

 
Christian Makarian est directeur délégué de la rédaction de L'Express.

Christian Makarian est directeur délégué de la rédaction de L’Express.

 

Bruno Levy pour L’Express

Malgré la colère des Palestiniens et les heurts avec l’armée israélienne, un changement stratégique majeur s’accomplit

A Jérusalem, l’histoire, présente à chaque pas, a donné la parole aux pierres plus qu’aux hommes. A croire que ce sont elles qui ont présidé à la décision de déménager l’ambassade américaine de Tel Aviv, dans un élan qui confère au passé plus de force qu’à l’avenir. Même si ce transfert n’est que symbolique pour le moment, dans l’attente de la construction d’une ambassade digne de ce nom, la volonté manifestée par Donald Trump de braver toutes les oppositions frontales à ce déplacement répond à des motivations qui puisent à des sources très profondes. 

“Si je t’oublie, Jérusalem”

Au titre des arguments fondamentaux, comme l’a écrit le politologue Bruno Tertrais, spécialiste de l’analyse stratégique, on assiste à une revanche de l’histoire ; Benjamin Netanyahu reprend à son compte des justifications très anciennes. La cité de David, le lieu où fut édifié le Temple de Salomon, le coeur battant de l’histoire juive et le point de départ de sa dispersion… Tout cela se produisit de nombreux siècles avant l’apparition de l’islam et, plus loin encore de ce que l’on a pu appeler, depuis six ou sept décennies seulement, la conscience palestinienne. C’est à la fois tout l’Ancien Testament, qui parle autant aux rabbins qu’aux évangélistes “littéralistes” américains, mais aussi toute l’épopée et les misères innombrables d’un peuple qui scandait depuis deux millénaires le psaume 137 “: “Si je t’oublie Jérusalem, que ma main droite se dessèche…” Le vote de la Knesseth, en 1980, qui fait de Jérusalem la capitale d’Israël, s’inscrit dans une logique pluriséculaire.  

 
 

A SUIVRE >> Inauguration sanglante à Jérusalem 

Pour les Palestiniens, qui sont enclins au mimétisme par rapport aux argumentations israéliennes, la convocation de l’Histoire donne lieu à de tout autres résultats. Le prophète Muhammad n’a jamais pu se rendre à Jérusalem de son vivant ; c’est uniquement dans le premier verset de la XVIIe sourate du Coran, que le fondateur de l’islam effectue son “isra” (voyage nocturne ) qui le conduit – en songe – de La Mecque à Jérusalem. De là, il serait monté aux cieux. Le texte dit : “Gloire à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée très éloignée dont nous avons béni l’enceinte, et ceci pour lui montrer certains de nos Signes. Dieu est celui qui entend et qui voit parfaitement”. “De la Mosquée sacrée [ndlr : La Mecque] à la Mosquée très éloignée [ndlr : Jérusalem]” : c’est à la fois très allusif et très explicite – l’éloignement se définit par rapport à l’Arabie, coeur de la foi musulmane.* 

Abu Diss, morne capitale

Par comparaison, dans la Bible, Jérusalem est citée 669 fois et Sion (qui désigne la ville mais aussi le pays) 154 fois, soit 823 au total. Dans le Coran, Jérusalem n’apparaît pas une seule fois – le terme d’Israël tout aussi peu. Quant au Nouveau Testament des chrétiens, il mentionne Jérusalem 154 fois et Sion 7 fois. Cela ne constitue évidemment une preuve au regard du droit des peuples et des personnes, mais on mesure combien l’appréhension du “récit national” est totalement différente d’un côté à l’autre de Jérusalem. D’où il ressort qu’il existe entre la tradition juive et la tradition musulmane une profonde différence d’approche historique et une divergence irréductible sur le sens de l’histoire. Dans un cas, on invoque les textes (antiques), dans l’autre la tradition (récente).  

Qu’en dit justement l’autre pays détenteur/protecteur des lieux saints musulmans, à savoir l’Arabie Saoudite ? Malgré des protestations officielles et tapageuses contre la décision de Donald Trump, les Saoudiens ne cessent de se rapprocher des Israéliens. Lors du 29e Sommet arabe, à Dharan, le souverain a déclaré : “Nous réitérons notre rejet de la décision américaine concernant Jérusalem”, ajoutant que “Jérusalem-Est est une partie intégrante des territoires palestiniens”. Il a également annoncé un don saoudien de 150 millions de dollars au profit de l’administration des biens religieux musulmans à Jérusalem-Est. Mais son fils, “MBS”, le prince héritier Mohammed ben Salmane, considère plus froidement que l’essentiel est de garder le contrôle des lieux saints – ce que l’Iran a tenté de contester au début de la République islamique. Cet objectif est sacré, toute l’obsession de la monarchie saoudienne est de le défendre. Or ce souci constant n’empêche pas d’ouvrir le jeu diplomatique avec Israël. Apparemment le père et le fils se sont bien répartis les rôles… Non seulement “MBS” reconnait à Israël le droit d’exister et de disposer d’un territoire, mais il propose aujourd’hui aux Palestiniens d’installer leur future capitale à Abu Diss, au lieu de rêver de Jérusalem. Abu Diss n’est qu’un village périphérique en zone aride, situé de l’autre côté du mur de séparation et doté d’une vue très incertaine sur le Dôme du Rocher ; ce serait une bien morne capitale.  

Pour la première fois de l’histoire, le pays qui abrite les lieux saints du judaïsme et du christianisme et celui qui garde jalousement le berceau de l’islam se sont notablement rapprochés. Cela aussi est historique. 

Une reconnaissance russe en catimini

Le 6 avril 2018, dans un communiqué assez discret, mais hautement significatif, la Russie a annoncé qu’elle reconnaissait Jérusalem Ouest comme la capitale d’Israël, ce qui en a fait l’un des premiers pays au monde à prendre cette décision. Même si ce communiqué, publié sur le site Internet du ministère russe des Affaires étrangères, indique parallèlement que Jérusalem Est devrait être la capitale d’un futur Etat palestinien, il constitue une avancée surprenante en direction d’Israël. “Nous confirmons notre attachement aux décisions de l’ONU sur les principes du règlement, y compris concernant le statut de Jérusalem-Est en tant que capitale du futur Etat palestinien. Nous soulignons dans le même temps que nous considérons, dans ce contexte, Jérusalem-Ouest comme la capitale de l’Etat israélien”.