LUC FERRY : “HALTE AU FONDAMENTALISME ÉTRANGER !”

À l’occasion du ramadan, la France a invité une centaine d’imams algériens. Une décision sidérante, juge notre essayiste.
 

Publié le 11 avril 2018 dans Le Figaro

J’apprends en lisant mon Figaro du jeudi 5 avril que notre gouvernement a décidé de faire venir pour le ramadan une centaine d’imams d’Algérie, et je ne puis que partager la réaction sidérée de mon amie Jeannette Bougrab : «Les bras m’en sont tombés! Comment, dans un État laïque, le ministre de l’Intérieur, certes ministre des Cultes, se préoccupe de faire venir des imams d’Algérie pour le ramadan? On nous casse les oreilles avec la création d’un islam de France et on fait venir des imams d’Algérie!» En effet… Sur les réseaux sociaux, j’eus l’autre jour le malheur de dire qu’il me semblait aberrant de garder sur notre sol des étrangers fichés S lorsqu’ils viennent semer la haine salafiste auprès des jeunes de nos quartiers. Nous avons déjà assez de mal à surveiller les nôtres pour ne pas nous encombrer de ceux qui viennent d’ailleurs. Volée de bois vert jusque dans mon journal préféré sous la plume du très libéral (et très gentil) Gaspard Koenig, qui m’accuse carrément de me «perdre» au motif que je ferais le jeu des terroristes en proposant pour les combattre de supprimer les libertés publiques les plus fondamentales. Diable! Rien que ça !

J’ignorais, je l’avoue, que le néolibéralisme conduisait à nier le droit français au nom de la liberté des terroristes potentiels. Car je vais être très clair: j’ai toujours dit et écrit que l’internement a priori de fichés S était à la fois impossible et illégal, donc absurde, de sorte que ceux qui le proposent sont des démagogues dépourvus de sérieux. Il est de fait que les fichés S, s’ils sont potentiellement dangereux, n’ont par définition encore rien commis de répréhensible qui permettrait qu’on puisse les enfermer. S’il est hautement souhaitable de les surveiller, et même bien davantage qu’on ne le fait aujourd’hui, il est néanmoins impossible de les jeter en prison sur simple présomption.

Une menace de plus en plus mortelle

En revanche, notre droit autorise en toute légalité et légitimité de renvoyer dans leurs pénates des étrangers qui menacent la sécurité et l’ordre public, qui tiennent des discours de haine contre la France, contre les non-croyants, les femmes ou les Juifs et qui appellent nos jeunes au djihad. La preuve? Notre ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’est tout récemment fendu d’un communiqué officiel pour faire savoir qu’il avait renvoyé dans leurs pays en 2017«une vingtaine d’étrangers» dont il souligne qu’ils étaient «en situation régulière», parce qu’ils tenaient des discours hostiles aux valeurs de la République, dangereux pour la sécurité des Français et susceptibles de provoquer des troubles à l’ordre public. Dans le même style, Villepin avait déjà fait expulser un imam qui appelait à battre les femmes désobéissantes. Ma seule réserve: pourquoi seulement vingt et pourquoi inviter des imams algériens? Je ne doute pas une seconde de l’engagement républicain de Gérard Collomb, un homme que j’estime, connais de longue date et qui fut un excellent maire de Lyon. Mais pourquoi tant de pusillanimité face à une menace de plus en plus mortelle?

« Il ne s’agit pas de paroles, il s’agit d’appels au meurtre et à la haine de la part de religieux fanatiques qui n’ont rien à envier aux nazis »

Le néolibéralisme est une idéologie que je respecte, mais que je ne partage pas. Je ne pensais toutefois pas qu’elle pouvait conduire jusqu’à inviter sur notre sol des ennemis de la France quand elle est en état de guerre, une guerre atypique, asymétrique et seulement défensive, certes, puisque nous ne faisons que nous protéger d’ennemis bien réels, mais une guerre quand même. Mon ami Koenig aurait-il invité à Paris un nazi allemand en l940 au nom de la fameuse thèse selon laquelle un libéral serait prêt à mourir pour la liberté de parole de ses ennemis? Mais, mon cher Koenig, il ne s’agit pas de paroles, il s’agit d’appels au meurtre et à la haine de la part de religieux fanatiques qui n’ont rien à envier aux nazis: ni la sauvagerie sanguinaire, ni l’antisémitisme, ni le mépris des femmes, ni la haine des Lumières comme de ce libéralisme que vous devriez pour une fois défendre contre ses véritables ennemis dont je ne suis certainement pas le principal représentant!

P.-S.: J’apprends par Jacques Testard, toujours dans mon Figaro, que ceux, dont je suis, à qui la lutte contre la vieillesse et la mort où s’engage le transhumanisme ne déplaît pas entièrement témoignent d’un «infantilisme archaïque». Venant de quelqu’un qui défend depuis toujours une doctrine marxiste-léniniste, le trotskisme, portée par des gens responsables de la mort de millions d’innocents, je me sens vraiment très impressionné. Quand auront-ils enfin la décence de s’excuser, de mettre un bémol à leurs leçons de morale ?