Elisabeth Lévy : «On subventionne la haine de la France»

 

Elisabeth Lévy : «On subventionne la haine de la France»

Elisabeth Lévy : «On subventionne la haine de la France»FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – A l’occasion de la parution du dernier numéro de Causeur, Elisabeth Lévy a accordé un long entretien au FigaroVox. Elle y revient sur l’affaire Mennel, égérie des «islamo-progressiste», et plus largement sur l’islamisme associatif et la complaisance de certaines municipalités à son égard.

Élisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son dernier numéro intitulé Mennel, icône malgré elle: l’islamisme à visage citoyen, le magazine revient sur l’affaire «The Voice» et enquête sur les associations qui financent la contre-société islamiste.


Vous consacrez votre «une» à l’affaire Mennel, cette jeune chanteuse enturbannée, renvoyée de l’émission The Voice pour ses tweets complotistes sur les attentats de janviers 2015. Vous auriez préféré qu’on la laisse concourir. Pourquoi?

 
 

Elisabeth Lévy: Parce que le combat des idées gagne à épargner les individus. Nous ne défendons pas Mennel, nous refusons de l’accabler. Mais à travers elle, derrière elle, nous cherchons à saisir un climat, à comprendre un terreau qui façonne nombre de jeunes esprits. «Icône malgré elle», elle n’en incarne pas moins une certaine France que nous devons comprendre parce qu’elle nous inquiète. En revanche, pour Claude Askolovitch, qui a publié sur Slate un long plaidoyer encensé par l’ensemble du parti multiculti, Mennel incarne la France qu’il aime. On connaît la musique: d’un côté la France ouverte et généreuse de Mennel et de Plenel, de l’autre celle, étriquée et peureuse, des imbéciles inquiets que nous sommes. Ce récit simplet vise encore une fois à masquer la fracture culturelle qui déchire la société française. Le ravissant minois de Mennel est le visage de notre querelle identitaire, c’est pourquoi il est en «une» de Causeur. Cependant, quoiqu’elle symbolise, elle reste une jeune fille qui voulait simplement chanter, pas porter un drapeau. Je comprends qu’après la découverte des tweets, sa présence ait pu irriter, voire enrager, mais je ne crois pas que son exclusion remédiera en quoi que soit à la fracture que j’ai évoquée. Et puis elle s’est excusée, cela devrait compter, non? Enfin, bien qu’il soit un peu abusif de parler d’erreur de jeunesse pour des propos tenus à l’âge de 20 ans, je suis toujours gênée par la traque des écarts passés. C’est peut-être justifié quand on nomme un préfet ou un ministre, mais pour une candidate à un télé-crochet? En tout cas, je me félicite d’avoir grandi à une époque où il n’y avait pas de réseaux sociaux pour conserver une trace de toutes les âneries que j’ai dites.

Vous allez même jusqu’à mettre en cause «la mouvance identitaire». L’ «indignation» est aussi venue des laïques et de simples citoyens inquiets de la montée en puissance de l’islamisme. D’ailleurs si des «dentitaires» différentialistes se sont manifestés se sont surtout les indigénistes, les soralo-dieudonnistes et les islamistes venus en soutien de Mennel…

Et pourquoi n’irais-je pas comme vous dites, jusqu’à mettre en cause la mouvance identitaire – en réalité, un partie de celle-ci -, serait-il interdit de la critiquer? Ceci étant, vous avez raison, comme l’a écrit Marc Weitzmann dans sa réponse à Askolovitch, des néo-maurrassiens, il y en a de tous les côtés dans cette histoire, y compris dans le camp de Mennel. Je le répète, je comprends l’indignation sincère de ceux qui pensaient aux victimes des attentats et j’ai trouvé révoltant qu’ils soient insultés pour cela. Cependant, certains n’ont pas attendu que l’on exhume les tweets complotistes pour dénoncer la présence de la jeune femme. Pour eux, le simple fait qu’elle soit arabe et musulmane la discréditait. Comme l’a observé Eric Zemmour, «tous les signes de l’assimilation» manquent à Mennel et c’est fâcheux. Mais j’ai le sentiment que, pour certains défenseurs de l’identité française, il n’y pas d’assimilation possible et que, pour être français, il faut être blanc et chrétien. Ce renoncement à notre génie, qui consiste à fabriquer des Français avec n’importe qui, me désole. On ne sauvera pas l’identité française en l’ethnicisant.

Que des municipalités jouent avec le feu islamiste me paraît plus scandaleux que la présence d’une crypto-islamiste dansThe Voice

Vous mettez son attitude sur le compte de la jeunesse et y voyez une posture qu’on prend dans un groupe pour se faire accepter. Depuis quand la jeunesse est-elle une excuse?

Il y a un conformisme du groupe, qui d’ailleurs ne s’éteint pas toujours avec la jeunesse: nos écrans sont pleins de moutons adultes. Reste que ce mimétisme du groupe est très fort à l’adolescence. Il explique certainement pas mal de conversions à l’islam. Dans l’environnement de toutes les Mennel de France, il est de bon ton de mettre en doute toute parole un tant soit peu verticale, discréditée comme «officielle», on trouve follement transgressif de s’informer chez Soral, de rire de tout (mais surtout du lobby que vous savez) avec Dieudonné et de parler à tout bout de champ de racisme d’Etat et de discriminations. Mennel adhère (ou adhérait?) à cette bouillie parano-victimaire qui tient lieu de vision du monde à une partie de sa génération, que l’on retrouve notamment dans le courant «décolonial», comme ils disent, ou dans le sillage des Indigènes de la République. Ce n’est pas une excuse. C’est une explication.

Vous dites que «Mennel voulait chanter, pas porter un drapeau». C’est à son corps défendant qu’elle est devenue une icône de la nouvelle France.» En êtes-vous si sûre? Comme l’a bien montrée Céline Pina, le compte de la jeune chanteuse, bien plus riche que la plupart des commentateurs ne le laissent entendre, est révélateur de ses liens avec les frères musulmans…Sans être parano ou complotiste, on peut voir dans sa démarche une forme «de prosélytisme par visibilité». Il est probable que si elle n’avait pas été exclue, elle se serait servie de sa notoriété pour diffuser les thèses islamistes auxquels elle adhère…

Ah bon? Moi, je n’en sais rien. Peut-être la fréquentation d’autres milieux et d’autres gens l’aurait-elle changée, nul ne peut le dire. Après tout le simple fait qu’elle veuille chanter (pour les fondamentalistes, c’est haram) pour une télé «française» prouve qu’elle est entre deux mondes, elle n’a pas complètement basculé. De toute façon, ce n’est pas le problème. Si Mennel est le visage de la nouvelle France, donc celui de notre avenir, il faut le regarder en face. Or, comme le montre la passionnante enquête réalisée par Erwan Seznec que nous publions, cette idéologie qu’on appellera l’indigénisme et que j’ai décrite sommairement bénéficie de nombreux financements et soutiens d’institutions et de collectivités. Ces aides sont parfois accordées en toute connaissance de cause, avec des objectifs cyniquement électoralistes. Et nous publions une autre enquête, de Rachel Binhas, sur l’islamisme associatif: sous couvert d’activités sportives ou éducatives, des associations oeuvrent au séparatisme culturel avec l’argent du contribuable. Que des municipalités jouent volontairement avec le feu islamiste ou qu’elles se fassent avoir, on subventionne la haine de la France, on encourage la diffusion d’idées destructrices du lien social. Cela me paraît bien plus scandaleux que la présence d’une crypto-islamiste dans The Voice.

Les demandes d’exclusion trompettées bruyamment à chaque fois que Zemmour défend une opinion qui déplait à nos petits procureurs médiatiques me révulsent.

Ceux que vous appelez les «islamo-progressistes» ont crié au lynchage. Ne sont-ils pas les vrais coupables dans cette affaire? Auraient-ils fait preuve de l’indulgence qu’ils réclament pour Mennel à l’égard d’une chanteuse ayant défendu des idées d’extrême droite?

La réponse est dans votre question: bien sûr que non. Mais faut-il faire du comportement de son adversaire le critère de son action? Cela dit, il est intéressant d’observer qu’avec les réseaux sociaux, tout le monde est à la fois lyncheur et lynché. Tout le monde a ses chances d’avoir son quart d’heure warholien de victime: il suffit désormais d’une vingtaine de tweets pour se dire lynché. Je déteste les insultes quelle que soit leurs cibles et elles devraient, dans la sphère publique, discréditer ceux qui en font un mode normal d’expression. Mais quand j’entends les plus grandes langues de vipère de la twittosphère pleurer parce que les gens sont méchants, je dois faire un gros effort sur moi-même pour ne pas penser qu’elles l’ont bien cherché.

Ces mêmes commentateurs en ont d’ailleurs profité pour demander la tête d’Eric Zemmour sous prétexte qu’il refuse de congédier Charles Maurras de l’Histoire de France … Est-ce comparable?

Evidemment pas! Mennel n’est pas éditorialiste et ses âneries négationnistes ne sont pas une opinion. Mais d’abord, n’éludons pas les questions. Eric Zemmour va plus loin que refuser de «congédier Charles Maurras de l’Histoire de France», il veut sauver une bien trop grande part de Maurras à mon gré et il n’est pas assez sensible à l’antisémitisme de Maurras au prétexte que celui-ci est «politique». C’est ce qu’on appelle un désaccord, et ce n’est pas le seul. Un désaccord, vous savez, cette interaction humaine qui stimule la pensée et rend l’existence amusante… Les demandes d’exclusion trompettées bruyamment à chaque fois que Zemmour défend une opinion qui déplait à nos petits procureurs médiatiques me révulsent. Je me demande bien à quoi leur sert toute la tolérance dont ils se glorifient tant dès lors qu’elle se limite à ceux qui pensent comme eux. Heureusement, ces piaillements récurrents pour qu’on fasse taire Zemmour, quand il faudrait le discuter et même le disputer, n’ont aucune conséquence. Mais ils n’élèvent pas le niveau.