Pourim, antisémitisme des origines – Par le Dr Herve Rehby

L’antisémitisme vient de loin. Nous en sommes, en tant que Juifs, persuadés. Et nous avons raison même si le concept moderne ainsi que son appareil terminologique sont d’introduction récente.

C’est le journaliste allemand, Wilhem Marr qui le premier, forgea ce mot « antisémite »en 1879, pour saisir cette aversion « non conventionnelle » pour les Juifs dans ce qu’ils avaient et ont toujours eu de racial, d’infiniment sémite ou sémitique. Cet argument fut longtemps combattu récusant aux Juifs ce lien racial a partir duquel se bâtit et se justifie toutes les revendications ultérieures de reconstruction nationale.

La Meguilla d’Esther, lue a Pourim vient à point pour nous proposer une relecture interrogative du concept d’antisémitisme.

Elevé à la fonction de vizir du Roi Assuerus, Haman, un descendant d’Agag, connu dans le livre de Samuel comme descendant d’Amalek, décide d’exterminer tous les Juifs du royaume de Perse.

Cette haine est pour l’essentiel présentée comme le résultat du comportement de Mordekhai hostile à tout compromis sur l’interdiction de « avoda zara » (idolâtrie) ou plus précisément de « avodat kohavim oumazalot » (astrologie).

Interrogé sur les raisons profondes de la liquidation programmée des Juifs de Perse, Rabbi Shimon Bar Yohai répond à ses élèves « parce qu’ils se sont prosternés devant l’idole d’Abuchodonosor… mais comme ils ne l’ont fait que pour la forme, alors Dieu ne les a condamnés que pour la forme » (TB Meg.13a).

Pour Mordekhai, pas de compromis. Il ne s’incline devant aucune idole, ni aucun roi, ni aucun humain. Car il est Juif, non simplement « yehoudi » (Juif), mais « ish yehoudi » (homme juif), ou le terme d’Ish (homme), donne sa pleine valeur qualificatif de Juif ; l’homme qui assume son identité.

Une analyse soigneuse des noms de Haman et de Hamedata son père, nous apprend que Haman est le nom persan d’origine sanskrite de la planète Mercure et que Hamedata veut dire « donné par la lune »

Mordekhai est évidement au fait des ces subtilités linguistique et le texte se structure précisément autour de ces références à la dévotion astrologique des peuples de Mésopotamie.

Pour le peuple d’Israël « ein mazal le Israël »il n’y a pas de destinée ou tutelle astrale, aucune influence des planètes pour Israël. (TB Shabbat 156a) Le ciel est tout entier le lien métaphorique de Dieu « me’on kosdo (la résidence de Sa Sainteté) ». (Ps.68-6)

Cette lecture très habituelle de l’opposition immémoriale d’Israël et d’Amalek ne rend pas entièrement compte de la dimension historico-psychologique du problème. Le texte de la Meguilla nous apprend ainsi qu’Haman voue une haine à tous les Juifs à cause du seul Mordekhai « il dédaigna de porter la main sur Mordekhai seul, car on lui avait dit qui était le peuple de Mordehkai et Haman chercha à détruire le peuple de Mordekhai, tous les Juifs qui se trouvaient dans tout le Royaume d’Assuerus … » (Es.-6).

La destruction de masse est ici projetée à partir du développement de la haine d’Haman contre Mordekhai, haine étendue secondairement à tout Israël. Certains ont avancé l’hypothèse que l’antisémitisme irrépressible surpuissant et dévastateur d’Hitler aurait été du à la haine personnelle du dictateur pour le philosophe Wittgenstein dont il aurait été le condisciple.

Pour qualifier Haman, la Meguilla se sert d’un mot très particulier que le Tanakh n’utilise pour personne d’autre « tsorer (kol) hayehoudim » (Es 3-10, 8-1, 9-10/24).

Cette expression est généralement traduite par : ennemi des (tous) Juifs.

Pour le mot « tsorer » on trouve la traduction de : ennemi, oppresseur, calomniateur.

La Septante grecque traduit ce mot une fois par Ekthos (ennemi de masse-force armée nationale se préparant à un acte violent de guerre destructive et par Diabolos (le calomniateur) et la Vulgate Latine utilise les mots de Hostis et d’Adversarius au sens affadi aujourd’hui en français.

Pour dénoncer le projet génocidaire d’Aman, Esther utilise les termes de « tsar veoyev « (Es 7-6) c’est-à-dire « oppresseur et ennemi » racine qui, en hébreu, donne le mot Te’ouqa-compression, striction, enserrement.

La racine verbale de Tsorer/ Tsar TSR renvoie clairement à la notion d’étroitesse de striction.

L’antisémitisme radical et assassin est décrit comme un réducteur un compresseur, un oppresseur, un strangulateur des Juifs, d’enfermement de la liberté de mouvement puis de la liberté de penser et de se développer tout simplement.

Toute notion de ghettoïsation présuppose du coté des antisémites la volonté de réduire l’espace vital des Juifs comme étape à leur agonie, à leur étouffement.

Haman le dit en exposant sa stratégie d’extermination à un Assuerus absent comme étrangement proche du silence des Nations, contemporaines des exactions antisémites et restantes muettes voire, tacitement complices.

Il s’agit de contraindre (Lehashmid), de tuer (Laharog) et de supprimer (Leabed), tous les Juifs depuis l’enfant jusqu’au vieillard, les petits enfants et les femmes en un seul jour « (Es.3-13).

On passe ainsi par tous les degrés de la persécution pour arriver à la destruction physique génocidaire (tous les âges et sexes confondus) puis à la destruction des traces de leur suppression ou de l’existence même (négationnisme moderne) et de manière planifiée et rapide « en un seul jour, le 13 du mois d’Adar… »(Id.)

Pourtant l’actualité du discours antisémite se situe dans la définition même qu’Aman entend donner du peuple juif promis a l’extermination : « Il y a un peuple unique en son genre, ré-unie autour de sa tradition », ou encore le peuple du Dieu Unique, « dispersé » propice à la dissimulation dans la société, tissant des liens associatifs, des interconnexions potentiellement dangereuses pour l’Etat « séparé entre les peuples… » …peuple à part, en divorce d’avec les autres nations du monde ; « Leurs coutumes diffèrent de celles de tous les autres peuples et ils n’observent pas les décrets du roi. Il ne convient pas de les tolérer » (Es.3-8).

Etre différent et le revendiquer, voila la faute des Juifs. Et déjà se profilent les accusations d’indiscipline et de nomadisme. Et la solidarité comme corolaire de l’infiltration sociétale et la revendication d’exception culturelle et peut être l’accusation d’élitisme forcenée voire, de complot international.

Tout est la, depuis longtemps.

Haman est le prototype de l’antisémite appelé en hébreu « tsorer » oppresseur, compresseur des Juifs.

Toutes les tentatives d’extermination des Juifs en diaspora ont toujours commencé par des contraintes d’ordre spatial, ghettoïsant ou déplacement de population, concentration, dont on sait le prix humain final concédé.

Dr Herve Rehby – © Le Monde Juif .info | Photo : DR